lundi 22 février 2010

Arts et médias: de la critique à l'empathie

Arts et médias : de la critique à l’empathie
Figures de l'art n°11
Revue d'études esthétiques, juin 2006


Depuis les années soixante, l’art entretient des rapports complexes avec la production médiatique, notamment visuelle. Une exposition récente qui s’est tenue en Europe permet nous semble-t-il de mieux comprendre cette problématique des rapports entre art plastique et médias mais aussi de mieux appréhender le travail singulier d’un artiste comme Pascal Convert qui se situe délibérément à l’écart des courants dominants et qui nous amène à réfléchir à la nature même de certaines images médiatiques.

L’art et l’événement médiatique

Les visiteurs de l’exposition « Covering the real » qui s’est tenue à Bâle au mois de juillet 2005 ont pu explorer les liens entre l’art et l’image de presse. L’exposition permettait en fait de reconstituer une partie de l’histoire des rapports entre arts plastiques depuis les années 60 et de comprendre quels ont été les courants dominants et les concepts à l’œuvre.
Etaient exposées les œuvres de vingt quatre artistes faisant référence à la grande actualité et ce, depuis Andy Warhol, jusqu’à nos jours avec Wolfang Tillmans. Parallèlement, un écran géant permettait de découvrir trois mille images de l’agence Keystone non encore sélectionnées ou légendées pour les journaux. Séparées de leur légende, ces photos amenaient le spectateur à les regarder vraiment, à s’interroger sur leur contenu sans être dirigé par le texte qui les accompagne habituellement. On reconnaissait là l’un des concepts souvent à l’œuvre dans le traitement artistique des médias d’information et qui est celui de la mise à distance, de l’interrogation. Nous verrons plus tard que cette mise à distance peut opérer à travers différentes figures.

D’autres oeuvres faisant aussi directement référence à l’actualité et qui étaient présentes à Bâle, détournent des images de presse, les assemblent, les découpent, les agrandissent, les colorient. Elles ouvrent donc une réflexion sur la perception de l’information, l’impact des images, leur manipulation en ayant recours à cet autre concept que l’on retrouve souvent et qui est celui du détournement.
Les œuvres présentées permettaient par ailleurs d’approcher l’histoire des raports entre médias et art plastique depuis qu’à la fin des années soixante un certain nombre d’artistes ont tenté de définir des possibilités plastiques et critiques dans le but de contrecarrer l’hégémonie des moyens de communication audiovisuels. Comme le notent les auteurs de l’article « Les médias veillent encore » , cette tendance en art plastique fut surtout sensible aux Etas-Unis et quelques grandes expositions qu’il faut ici citer s’en firent l’écho. Il faut notamment signaler : Information en 1970, Art and the media en1982, Subversive arts : artists working with media politically en1986, Image world, art and image culture en1989.

Andy Warhol est certainement le premier dans les années soixante à avoir transformé en oeuvre d’art la culture visuelle populaire, notamment celle de la presse. Warhol travaillait des photos prises par d’autres qu’il reproduisait en série, à travers la sérigraphie chère à la publicité. On connaît généralement bien les portraits de Warhol comme ceux de Jackie Kennedy : le Jackie Triptyque de 1964 ou encore Les quatre Jackie. Comme l’écrit Klaus Honnef, « Un soufffle d’absurdité dirige l’entreprise, la répétition constante sape le caractère exceptionnel d’un motif pictural. Sous l’effet de la répétition, il se désagrège pratiquement, perd son contour, s’estompe et en s’estompant rend visible tout un monde caché par le pilonnage incessant de la publicité et des médias » . Moins connues des œuvres comme « Emeute raciale rouge » (1963), jouent sur un autre niveau de mise à distance, en isolant et en grossissant des éléments des mass media pour « faire prendre conscience à l’observateur que toute perception de la réalité n’est que de seconde main ».
Warhol est le premier à ne pas inventer un regard à partir de rien mais à utiliser des images prises par d’autres. Avec lui la main disparaît, il met en scène l’absence d’auteur en reproduisant ses œuvres en masse. On reste pourtant dans le tableau à contempler.

Une autre artiste a joué un rôle essentiel et radical depuis 1960, Martha Rosler. A la différence des peintres, elle abandonne le tableau et déclare : « J’ai étudié la peinture et j’ai baigné dans l’abstraction de l’époque mais j’ai basculé dans la politique au moment de la guerre du Vietnam. J’ai alors arrêté la peinture qui ne traduit pas assez la complexité de l’engagement social ». (Le Monde, 29 juillet 2005). Martha Rosler confectionne des photomontages qui procèdent par découpage.
Avec la récente série «Bringing the War Home» l’artiste juxtapose des images issues du rêve américain (la mode, la famille, l’opulence) avec celles de G.I prises au cours des récentes campagnes de guerre américaines. Une femme, yeux fermés et bouche offerte, adopte une pose langoureuse (Lounging Woman). Elle est belle et arbore un seyant pantalon treillis certainement dessiné par un grand couturier. L’image glamour du magazine féminin est radicalement contrariée par l’arrière plan sur lequel un groupe de G.I lourdement armé fouille des décombres.
Au premier abord, Election (Lindie) montre une femme qui passe l’aspirateur dans sa cuisine équipée high-tech. En y prenant garde, on reconnaît rapidement le cliché tristement célèbre de la G.I récemment condamnée pour les tortures commises sur des prisonniers irakiens.
L’horreur apparaît alors dans les détails de cette image : les vitres des fours, les couvertures de livres de recettes et celles des magazines, les posters, bref, tout ce qui constitue cette cuisine grouille d’images de corps mutilés.
Ce type de travail basé sur le contraste, le mélange, le détournement rappelle bien sûr la série de Martha Rosler réalisée de 67 à 72 à propos du Vietnam et qui propose un collage incongru de vingt photographies en couleur. Il s’agissait de clichés sanglants introduits dans de cossus intérieurs d’américains vivant dans la société de consommation.

Les œuvres des années 70/80 présentées à Bâle soulignaient aussi à travers la photo, la vidéo, l’information médiatique, la mettaient à nu, plongaient dans la critique de l’image médiatique. Il faut citer ici des artistes comme Richard Hamilton qui a travaillé sur l’Irlande du Nord, Arnul Rainer et ses photos d’Hiroshima ou encore Sarah Charleworth et ses clichés de l’assassinat d’Aldo Moro.


La recherche d’antidotes visuels

Des liens forts sont à établir entre les artistes présentés à Bâle et ceux qui furent exposés à Rennes en 2003 dans le cadre de l’exposition « In media res » . Dans les deux cas on peut en effet suivre Victor Burgin lorsqu’il écrit que pour ces créateurs : « le rôle de l’artiste est de démanteler les codes de communication existants et de recombiner certains de leurs éléments dans des structures qui peuvent générer de nouvelles images du monde ». Ce dont il s’agit bien en effet, c’est de mettre au jour le sens implicite, caché des images et de débusquer l’idéologie dominante qui les sous tend. Les artistes s’emparent de différentes formes de représentation propres au pouvoir de la presse, de la publicité et des supports médiatiques dans le but de les déstabiliser. Ils sont en quelque sorte à la recherche d’antidotes visuels.

Dans l’intéressant article déjà cité, « Les médias veillent encore », les auteurs proposent de distinguer deux grandes périodes pour appréhender ces formes artistiques apparues de 1960 à 1990 et qui cherchent à « contrecarrer les représentations et les discours dominants des médias ».

La première période se caractériserait par une « recontextualisation » qui consisterait à prélever des objets, des images, des textes de leur environnement culturel (en l’occurrence la communication médiatique de masse) pour les recontextualiser au sein du monde de l’art, en leur donnant une nouvelle signification. Cette orientation serait en partie rattachable au courant de l’ « Appropriation art ».
Un artiste comme Richard Prince, réutilise par exemple l’imagerie populaire des affiches, de la publicité et les détournent pour en dénoncer les stratégies. De son côté, la vidéaste Dara Birnbaum remet en cause la question de la codification des genres à la télévision, en redéfinissant et en mélangeant les rôles et les jeux des personnages.

La deuxième période correspondant aux années 80, serait marquée par des procédés d’ « Infiltration » permettant de véhiculer une contre information. L’exposition « A forest of signs : Art in the crisis of representation » qui eut lieu à Los Angeles en1989 fut exemplaire de cette démarche qui concernait notamment la représentation des minorités ethniques.

Par rapport au travail de Pascal Convert sur les images des EVN qui sera examiné plus tard, nous voudrions nous arrêter un moment sur celui d’un artiste représentatif de la première période qui vient d’être évoquée, Keith Sanborn. Partant du film d’un cinéaste amateur qui enregistra l’assassinat du président Kennedy, Keith Sanborn traite ce document de dix huit images par seconde, en le ralentissant, l’accélérant, en en inversant le déroulement, en en masquant des éléments (The Zapruder footage : an investigation of a consensual hallucination. Vidéo numérique. 20mns. 1999). A travers ces manipulations, le document est du même coup mis en question y compris dans sa dimension politique puisque ce film fut le seul à être considéré comme officiel ce qui pouvait cacher des réalités montrés par d’autres films qui furent tournés à Dallas au même moment. La dimension documentaire, l’aspect référentiel de ce film muet sont aussi minés de l’intérieur par une musique des maîtres musiciens de Jajouka introduite par Sanborn et qui donne une dimension quasiment hypnotique au film.

De la contestation à la destruction

Le titre de l’exposition de Rennes, « In media res, Information, contre information » résumait donc bien la tendance largement dominante dans les rapports entre art plastique et médias et qui est plutôt d’ordre conflictuel et contestataire. A travers des concepts et des figures comme la mise à distance, le détournement, l’écart, la subsitution, la décontextualisation, le mélange, les artistes que nous avons évoqués proposent des espaces de conscientisation qui selon David Perreau : « rappellent le rôle idéologique, économique et politique joué par les médias ds la construction de ce qui quotidiennement nous entoure, de notre imaginaire, de notre relation au monde ».

Les moyens et les figures de la critique peuvent être encore plus radicaux et aller jusqu’à la destruction. L’ exposition « Iconoclash » qui s’est tenue à Karlsruhe en juillet 2002, présentait ainsi des dispositifs d’images qui amenaient à réfléchir sur la fabrication et la destruction de celles-ci dans les domaines des sciences, de la religion et de arts. Du côté des médias et au cœur de l’exposition une installation lumino-cinétique et sonore, aux parois cylindriques en miroir, reflètait, déformait, transformait des images de guerre, de mort, de destruction massive. Le labyrinte électronique d’Arata Isosaki est en fait une reconstitution d’une composition qui aurait dû ouvrir la bienale de Milan en 1968. De l’image médiatique contestée, nous passons donc à une manifestation d’icionoclasme médiatique.

Une attitude hospitalière

Rien de tel chez Pascal Convert et même une attitude pratiquement opposée. Dans un entretien accordé à Michel Guerrin du quotidien Le Monde en septembre 2004 et dans le reportage de l’émission Métropolis qui lui fut consacré (9 octobre 2004), l’artiste déclarait qu’il avait une « attitude hospitalière et d’écoute par rapport aux médias » et même de « douceur envers les photographies de presse ». On ne sera donc pas surpris que Convert précise ailleurs qu’il est en opposition complète avec les artistes qui présentent des œuvres qui se veulent une alternative à l’image médiatique alors critiquée et qu’il se démarque aussi du courant « Art et médias » pour préciser qu’il n’a pas une position engagée mais « d’implication ».
Pascal Convert revient plusieurs fois sur cette dimension affective qui préside à son rapport à l’image, en déclarant par exemple à Pierre-André Boutang dans Metropolis : « Je crois que ce qui m’a porté vers ces images-là, c’est leur profonde humanité, tout simplement. Et c’était cette évidence là que je cherchais dans les images. J’aime la peinture, la sculpture, non pas comme savoir ou comme connaissance ; je les aime pour le sentiment, pour l’humanité qu’elles ont. (…). Quand je rentre dans un musée, que je vois un Titien, un Velasquez ou un Caravage, je les vois comme des amis. Ces photographies me racontaient des histoires et elles sont devenues des amis ».
Longue citation parce qu’essentielle pour comprendre le travail de Convert et cette disposition, cette posture si particulières qui l’éloignent radicalement des artistes engagés mais aussi des intellectuels et des universitaires dont il nous dit que leur seule réponse « vis à vis de photos et des reportages de télévision est le mépris ».
La force du travail de Convert tient sans doute au fait de ne pas opposer les images à travers des catégories étanches et toute faites. Il n’y pas pour lui, d’un côté les images nobles de l’art et de l’autre les images sâles des médias. Même s’il prend bien soin de se démarquer de certaines images médiatiques sensationnalisantes comme celles par exemple du direct, Convert approche beaucoup d’images médiatiques à travers ce qu’il appelle leur « hybridité ».


Des images qui aimantent d’autres images.

Le cas de la photo de presse « Veillée funèbre au Kosowo » prise en janvier 1990 par Georges Mérillon de l’agence Gamma et qui va devenir chez Convert un bas relief (Biennale de Lyon : 1999-2000) en cire, résine et cuivre qu’il appelle souvent la pieta du Kosowo est intéressant à cet égard.
Le rituel funéraire de cette famille du Kosowo, réunie autour du corps du jeune fils et frère, Nasmi Elshani tué par la police serbe, tel qu’il est capté par le photographe, entre pour l’artiste en relation avec toute l’histoire de l’art. Convert évoque à son propos le Caravage pour la lumière, les scultptures en ronde-bosse et le genre très populaire des crèches napolitaines. Il parle d’une « figure revenante » à travers laquelle l’on sent : « l’intimité du présent mais aussi l’intimité d’une histoire des images ».
Loin de ce que nous avons rencontré avec Warhol et les artistes d’Art et médias qui eux aussi pratiquent des formes d’hybridation contestatrices (répétition, recyclage, détournements, mélanges), l’hybridité chez Convert, c’est quelque chose qui ouvre sur le temps, l’histoire. Les photos hybrides qui l’intéressent sont ces images qui portent une lourde généalogie et qui évoquent l’histoire de l’art.
L’hybridité va même encore plus loin puisque pour Convert la « Veillée funèbre du Kosowo » hybride les représentations du monde chétien et du monde musulman. Prise dans un contexte de rituel musulman, cette scène a bien sûr de fortes références chétiennes puisqu’elle renvoie à toute une imagerie religieuse. Du même coup elle montre pour Convert une parenté entre de mondes et des temps qui s’opposent violemment. Si cette image qu’il appelle « compassionnelle » est destinée à un public occidental chétien, elle est en même temps selon lui bien plus complexe.
C’est bien pourquoi l’artiste s’est aussi intéressé à une autre image qui a suscité des polémiques, « Massacre en Algérie de Hocine » (22 septembre 1997). Comme la Pieta du Kosowo, la « Madone de Bentalha » peut ête considérée comme une image hybride, ce qui pour certains la rend irrecevable, trompeuse voire malhonnête. Convert au contraire y voit une photo archétypale constitutive de notre rapport aux images, de notre histoire des représentations.
Là encore à l’inverse des artistes évoqués précédemment, Convert ne cherche pas à dénoncer l’archétype, le stéréotype (il distinge d’ailleurs les stéréotypes faibes des stérétypes forts) mais les accueille au contraire dans son œuvre. Il semble bien en fait que loin de mettre l’accent sur les distorsions de ces images, Convert cherche au contraire à les envisager comme une forme, une manifestation de syncrétisme. Nous sommes à l’opposé bien sûr de ce courant iconoclaste que nous avons pu rencontrer précédemment.
Le travail de déplacement formel, d’écart qui permet ensuite à ces images de devenir des sculptures de cire ressemble alors à un acte de foi en l’image, confirmé par les propos de l’artiste que nous évoquions précédemment.

Ces images ont un corps

La relation singulière de Pascal Convert avec l’image médiatique ne passe pas que par la photographie de presse. L’artiste a en effet réalisé un vidéogramme de treize minutes intitulé « Direct indirect », monté à partir de trois cents heures de rushes et montrant des situations de conflit dans plusieurs pays du monde .
On retrouve avec ce travail, le souci de Convert de s’intéresser à des images médiatiques pourtant peu valorisées. Dans ce cas, il s’agit d’images télévisées des EVN (la banque d’images, Europen video news qui fournit les télévisions européennes qui en sont clientes) qui, comme le signale l’artiste : « n’appartiennent pas au cinéma, pas encore au journal télévisé, sont en deçà de la diffusion et n’ont donc pas sa noblesse » . A l’inverse de beaucoup d’images du JT que Convert trouve au contraire « altérées, détruites, vidées de leur force » par le commentaire journalistique et les incrustations de logos et de textes, les images des EVN sont pour lui d’une grande puissance. Il attribue celle-ci au fait qu’elles sont en quelque sorte en amont de toute narration et qu’elles présentent une corporalité dûe au « lieu d’énonciation qui est avant tout celui du cadreur ». Images bougées, images physiques qui ont donc un corps, ces images vont ensuite s’inscrire dans un parcours cher à Convert, celui des effets de rémanence.
Le travail d’écart pratiqué par l’artiste permet en effet de corriger la lumière et les couleurs des images pour les inscrire dans une nouvelle dimension qui est celle de la mémoire. Le ralenti, au lieu de contester le document comme ce que nous avons vu avec Keith Sanborn, donne à voir une anamorphose du temps, ce que Convert tente aussi de faire dans les bas relief de cire.
Pour lui le ralenti « donne à voir le temps des images de manière presque physique, en le dilatant ».

Il est à nouveau remarquable que Convert précise bien que son enjeu n’était pas de faire un film critique sur les médias, ce qui là encore le distingue radicalement d’artistes évoqués précédemment. Et ce d’autant plus que les situations de guerre, à commencer par celle du Vietnam, ont suscité beaucoup de travaux artistiques contestant leur couverture médiatique.
Grâce à son « hospitalité » envers les images, Convert réussit dans « Direct indirect » à les faire échapper au flux télévisuel indistinct et à leur donner corps dans un jeu entre présence et absence.


Le champ du symbolique

Dans l’interview accordée au Monde, Pascal Convert fait remarquer que les « artistes ont délaissé le champ du symbolique » pour produire uniquement des œuvres décoratives. Cette revendication du symbolique, à opposer au décoratif qui finalement est aussi l’une des dimensions du pop art ou à l’art engagé et contestataire d’ « Art et médias », invite nous semble-til à établir un rapprochement avec un texte de Jacques Rancière, « Le destin des images » .
A partir de l’oeuvre de Jean-Luc Godard, Rancière soutient en effet la thèse que le cinéaste serait passé d’un montage dialectique à un montage symbolique représenté par « Histoire(s) du cinéma ».
Si selon Rancière, il faut prendre ces deux termes en un sens conceptuel qui dépasse les frontières de telle ou telle école ou doctrine, la manière dialectique investirait « la puissance chaotique dans la création de petites machineries de l’hétérogène ». « En fragmentant des continus et en éloignant des termes qui s’appellent ou à l’inverse en rapprochant des hétérogènes et en associant des incompatibles », elle créerait des chocs.
Il s’agirait « de mettre en scène une étrangeté du familier, pour faire apparaître un autre ordre de mesure qui ne se découvre que par la violence du conflit ».
Faisant remarquer que toute l’œuvre de Godard est une pratique de collage des hétérogènes, Rancière cite un certain nombre de films comme « Made in USA » qui renvoient à l’histoire comme lieu de conflit. On se souvient bien sûr aussi des premières scènes de « Pierrot le Fou » dans lesquelles apparaissent dans une manière quasiment situationniste, des petites « machineries de l’hétérogène » qui fonctionnent sur le mode de la provocation et de la dénonciation d’un certain type de société.
Dans les rapports entre art et médias, il semble bien que crette manière dialectique ait longtemps dominé dans la peinture, la vidéo, la photo. Le concept proposé par Rancière rend bien compte de toute une production qui, comme nous l’avons vu, détourne, déconstruit pour mieux dénoncer l’idéologie sou-jacente à la communication médiatique.

Inversement le travail de Pascal Convert est sans doute à rapprocher de ce que Jacques Rancière nous dit de la manière symboliste qui selon lui met aussi en rapport des hétérogènes mais en les assemblant avec une logique inverse puisque que : « entre les éléments étrangers, elle s’emploie à établir une familiarité, une analogie occasionnelle, qui témoignent d’une relation plus fondamentale de co-appartenance, d’un monde commun où les hétérogènes sont pris dans un même tissu essentiel ».

Rancière nous parle de ces « entrelacs de mots, de phrases et de textes, de peintures métamorphosées, de plans cinématographiques mélangés à des photos ou bandes d’actualité » qui dans « Histoire(s) du cinéma » relèvent d’un cinéma qui se présente comme une série d’appropriations des autres arts.

Si le rapprochement entre la manière symboliste de Godard dans « Histoire(s) du cinéma » et le travail de Convert ne doit pas être poussé trop loin, on notera tout de même que Rancière fait aussi l’hypothèse que ce phénomène du passage du dialectique au symbolique n’est pas propre seulement à Godard mais touche d’autre productions artistiques.

« Histoire(s) du cinéma » serait en quelque sorte emblématique de ce que Rancière pointe comme étant une « tendance néo-symboliste et néo-humaniste de l’art « contemporain ».

Au delà de leur portée dans le domaine de l’art, les convictions et les œuvres de Pascal Convert nous semblent devoir résonner plus largement dans les débats contemporains sur les images.
Qu’un artiste comme lui, loin de condamner de manière indistincte les images médiatiques, déclare au contraire l’empathie qu’il peut ressentir pour certaines d’entre elles, nous invite certainement à les considérer autrement.


Thierry Lancien

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